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Introduction to French Poetry, Alfred de Vigny (1797-1863) : La maison du berger (III)

Alfred de Vigny (1797-1863) : La maison du berger (III)

Éva, j'aimerai tout dans les choses créées, Je les contemplerai dans ton regard rêveur Qui partout répandra ses flammes colorées, Son repos gracieux, sa magique saveur : Sur mon coeur déchiré viens poser ta main pure, Ne me laisse jamais seul avec la Nature ; Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

Elle me dit : "Je suis l'impassible théâtre Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ; Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre, Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs. Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine Je sens passer sur moi la comédie humaine Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A côté des fourmis les populations ; Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre, J'ignore en les portant les noms des nations. On me dit une mère et je suis une tombe. Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe, Mon printemps ne sent pas vos adorations.

"Avant vous j'étais belle et toujours parfumée, J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers, Je suivais dans les cieux ma route accoutumée, Sur l'axe harmonieux des divins balanciers. Après vous, traversant l'espace où tout s'élance, J'irai seule et sereine, en un chaste silence Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers. "

C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe, Et dans mon coeur alors je la hais, et je vois Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe Nourrissant de leurs sucs la racine des bois. Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes : - Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes, Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.

Oh ! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse, Ange doux et plaintif qui parle en soupirant ? Qui naîtra comme toi portant une caresse Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant, Dans les balancements de ta tête penchée, Dans ta taille indolente et mollement couchée, Et dans ton pur sourire amoureux, et souffrant ?

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse, L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi Plus que tout votre - règne et que ses splendeurs vaines, J'aime la majesté des souffrances humaines, Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi.

Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule, en y posant ton front ? Viens du paisible seuil de la maison roulante Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront. Tous les tableaux humains qu'un Esprit pur m'apporte S'animeront pour toi, quand, devant notre porte, Les grands pays muets longuement s'étendront.

Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre Sur cette terre ingrate où les morts ont passé ; Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre, Où tu te plais à suivre un chemin effacé, A rêver, appuyée aux branches incertaines, Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines, Ton amour taciturne et toujours menacé.

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Alfred de Vigny (1797-1863) : La maison du berger (III) Alfred de Vigny (1797-1863): The Shepherd's House (III) Alfred de Vigny (1797-1863) : Ganytojo namai (III)

Éva, j'aimerai tout dans les choses créées, Je les contemplerai dans ton regard rêveur Qui partout répandra ses flammes colorées, Son repos gracieux, sa magique saveur : Sur mon coeur déchiré viens poser ta main pure, Ne me laisse jamais seul avec la Nature ; Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur. |||||||||will contemplate|||||||will spread||||||||||||||||your||||||||||||||||to|||| Eva, I would like everything in the created things, I will contemplate them in your dreamy gaze That will spread its colored flames everywhere, Its graceful rest, its magical flavor: On my torn heart come lay your pure hand, Never leave me alone with Nature; For I know it too well not to be afraid of it.

Elle me dit : "Je suis l'impassible théâtre Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ; Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre, Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs. |||||the impassable|||||||||||||of emerald||||||||||||| She tells me: "I am the impassive theater That cannot be stirred by the feet of its actors; My emerald steps and my alabaster forecourts, My marble columns have the gods for sculptors." Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine Je sens passer sur moi la comédie humaine Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs. I hear neither your cries nor your sighs; barely I feel the human comedy passing over me That vainly seeks in the heavens its mute spectators.

"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A côté des fourmis les populations ; Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre, J'ignore en les portant les noms des nations. ||||||||||||ants||||||||burrow||||||||||| "I roll with disdain, not seeing and not hearing, Next to the ants, the populations; I cannot distinguish their burrow from their ash, I ignore the names of nations while carrying them." On me dit une mère et je suis une tombe. "I am called a mother and I am a tomb." Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe, Mon printemps ne sent pas vos adorations. |||||||mass death||||||| "My winter takes your dead like its hecatomb, My spring does not feel your adoration."

"Avant vous j'étais belle et toujours parfumée, J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers, Je suivais dans les cieux ma route accoutumée, Sur l'axe harmonieux des divins balanciers. |||||||I abandoned||||||||||||||||||||balancers "Before you, I was beautiful and always scented, I abandoned my hair completely to the wind, I followed my accustomed path in the skies, On the harmonious axis of divine pendulums. Après vous, traversant l'espace où tout s'élance, J'irai seule et sereine, en un chaste silence Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers. " ||||||leaps||||serene||||||will split|||||||breasts|lofty After you, crossing the space where everything rises, I will go alone and serene, in a chaste silence. I will cleave the air with my forehead and my lofty breasts."

C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe, Et dans mon coeur alors je la hais, et je vois Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe Nourrissant de leurs sucs la racine des bois. |||||||||||||||||||||||||||||||||Nourishing|||juices|||| This is what her sad and superb voice tells me, And in my heart then I hate her, and I see Our blood in her wave and our dead under her grass Nourishing with their juices the root of the woods. Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes : - Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes, Aimez ce que jamais on ne verra deux fois. And I say to my eyes that found charms in her: - Elsewhere all your gazes, elsewhere all your tears, Love what will never be seen twice.

Oh ! Oh! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse, Ange doux et plaintif qui parle en soupirant ? ||||||||||||plaintive|||| who will see your grace and tenderness twice, Sweet and plaintive angel who speaks while sighing? Qui naîtra comme toi portant une caresse Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant, Dans les balancements de ta tête penchée, Dans ta taille indolente et mollement couchée, Et dans ton pur sourire amoureux, et souffrant ? |will be born||||||||||||||||||||||||||||||||||| Who will be born like you carrying a caress In every flash fallen from your dying gaze, In the swaying of your leaning head, In your indolent and softly laid body, And in your pure, loving, and suffering smile?

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse, L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi Plus que tout votre - règne et que ses splendeurs vaines, J'aime la majesté des souffrances humaines, Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi. ||||relive||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Live, cold Nature, and live on endlessly Beneath our feet, on our foreheads, since it is your law Live, and scorn, if you are a goddess, The man, a humble passerby, who had to be a king to you More than all your reign and its vain splendors, I love the majesty of human suffering, You will not receive a cry of love from me.

Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule, en y posant ton front ? But you, do you not wish, indolent traveler, To dream on my shoulder, by resting your brow there? Viens du paisible seuil de la maison roulante Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront. |||||||rolling||||||||| Come from the peaceful threshold of the rolling house To see those who have passed and those who will pass. Tous les tableaux humains qu'un Esprit pur m'apporte S'animeront pour toi, quand, devant notre porte, Les grands pays muets longuement s'étendront. |||||||brings me||||||||||||| All the human paintings that a pure Spirit brings me Will come to life for you when, before our door, The great silent countries will stretch out long.

Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre Sur cette terre ingrate où les morts ont passé ; Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre, Où tu te plais à suivre un chemin effacé, A rêver, appuyée aux branches incertaines, Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines, Ton amour taciturne et toujours menacé. |will walk|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| We will walk like this, leaving only our shadow On this ungrateful land where the dead have passed; We will speak of them at the hour when all is dark, Where you delight in following a faded path, Dreaming, leaning on uncertain branches, Weeping, like Diana on the edge of her fountains, Your taciturn and always threatened love.