×

Nous utilisons des cookies pour rendre LingQ meilleur. En visitant le site vous acceptez nos Politique des cookies.


image

Histoire d'Europe et du monde: "Nota Bene", La véritable histoire des nains (1)

La véritable histoire des nains (1)

Cet épisode est sponsorisé par les éditions Hachette Heroes qui viennent de sortir deux

ouvrages sur Tolkien, Les batailles de Tolkien et Les Héros de Tolkien.

Pour vous replonger dans cet univers rempli d'elfes, d'orcs, de dragons et de nains,

je vous invite à cliquer sur le lien en description pour les commander ou à les retrouver en

librairie.

On se retrouve en fin de vidéo pour en savoir plus ! Très bon épisode !

“Nous sommes les nains sous la montagne!!!”

Mes chers camarades bien le bonjour !

Fan de Naheulbeuk, lecteur de fantasy, joueuse de WoW, nous sommes tous habitués à voir

dans les nains un peuple de petits êtres habitant sous les montagnes, buvant beaucoup

de bière, travaillant le métal, amassant de l'or, des hommes barbus aussi ronchons

qu'un vieux pilier de bistrot célibataire et qui, évidemment, détestent les elfes.

Sauf qu'évidemment les nains, c'est plus compliqué que ça...

Ces représentations des nains que je viens d'énoncer sont pour beaucoup contemporaines.

Aujourd'hui, les races merveilleuses des univers de fantasy sont même distinguées

entre elles de manière quasi scientifique.

On les décrit comme des zoologues pourraient dépeindre diverses espèces d'oiseaux en

usant du système de Linné hérité du XVIIIe siècle.

Dans la dernière édition du jeu de rôle Donjons & Dragons, les nains n'ont par exemple

rien à voir avec les elfes ou les gnomes.

Ils font « entre 1,20 m. et 1,50 m. », vivent en moyenne 350 ans et sont séparés

en deux sous-espèces, celle des collines et celle des montagnes.

Au Moyen ge, la vision des nains, n'est pas du tout la même qu'aujourd'hui ! Les

auteurs de cette époque ne s'accordent pas entre eux, ils ne sont pas aussi précis

et parfois, ils se contredisent eux-mêmes.

Autant vous dire qu'on n'est pas sorti de l'auberge !

Mais ce qui peut nous apparaître comme de la confusion à en réalité une logique très

simple.

Ils considèrent les nains comme des êtres liés à l'outre-monde, à la magie, à

la féérie.

Ils peuvent donc être confondus avec d'autres créatures merveilleuses : des elfes, des

fées, mais aussi des géants.

C'est d'autant plus vrai que les auteurs emploient parfois, pour nommer une même créature,

plusieurs termes.

À titre d'exemple, l'alchimiste Paracelse invente au XVIe siècle le mot « gnome »

pour décrire de petits êtres qui ont toutes les caractéristiques des nains des légendes.

Et autant te dire que si dans World of Warcraft tu traites un nain de gnome, y'a des chances

que tu te prennes un coup de masse à deux mains.

Ce type de mélange entre les termes est très répandu au Moyen ge.

Par exemple quand il parle des nains, Snorri Sturluson, auteur islandais au XIIIe siècle,

les appelle les « d'elfes noir ». On peut lire dans son ouvrage l'Edda en

Prose que « Alfadr demanda à Skirnir, le messager de Feryr, de descendre au pays

des elfes noirs (“Svartalfaheim”) et de faire fabriquer par des nains un lien appelé

Gleipnir ». Dans un autre texte intitulé L'art poétique, Snorri explique que Loki,

se rendant au même pays des elfes noirs, arriva chez un nain appelé Andravi.

On remarque donc chez l'auteur islandais une nette confusion entre les elfes noirs

et les nains.

C'est encore plus le cas lorsqu'il donne les noms de soixante-huit nains.

Outre le fait qu'on en connaisse un bon nombre parce qu'ils ont été utilisés

par Tolkien pour désigner ses propres nains comme Fili, Kili, Ori, Nori, Dvalin qui donnera

Dwalin, Dain, etc, certains renvoient explicitement aux elfes : Vindalf (« elfe du vent »)

et Gandalf (« elfe à la baguette magique ») ou tout simplement « Alf » (« elfe »).

Oui, Gandalf serait en fait un nain, vous avez bien entendu.

Nota Bene, l'émission qui défonce tes repères et tes œuvres préférées.

Cette nature elfique des nains est aussi présente dans des textes germaniques.

Dans La Chanson des Nibelungen, composée au XIIIe siècle, le héros Siegfried soumet

le nain Alberich, roi des Nibelungen, et lui promet la liberté en échange de mille de

ses guerriers, qu'il lui accorde.

Or, Alberich signifie probablement « roi des elfes », en mélangeant les termes

« alb » (soit « alf » / « elfe ») et « rich » qui renvoie lui au latin

rex (« roi »). En plus d'être associés aux elfes, les

nains sont aussi proches des géants, au point de se confondre avec eux.

Sokkmimir, géant cité dans l'Edda poétique, est le fils du nain Midvitnir.

Ça parait logique non ? Non ?

Les nains, comme nombre de créatures féériques, sont souvent décrits comme des change-formes.

Andravi par exemple, que tente de capturer Loki « avait pris dans l'eau la forme

d'un poisson ».

On est loin de Gimli et de sa hache !

On confère aux nains une apparence encore plus étrange dans les textes en langue romane.

En effet, à partir du XIIe siècle, les nains font leur apparition dans la matière de Bretagne

,c'est-à-dire dans l'ensemble des textes du Moyen ge liés aux légendes bretonnes

et notamment au mythe arthurien.

Ils apparaissent également dans la matière de France, les légendes françaises donc,

associée, elle, aux exploits des paladins de Charlemagne.

C'est Chrétien de Troyes, qui, le premier, introduit les nains dans la légende de Camelot,

notamment dans Erec et Enide, roman écrit dans les années 1160 où le nain Bilis a

pour frère Bliant, un quasi géant, car, explique le texte, il « était plus grand

d'un demi-pied ou d'une paume entière que le plus grand chevalier du royaume ».

Dans le Roman de Jaufré, seul texte arthurien écrit en langue d'oc composé vers 1200,

le héros affronte un nain.

Or, celui-ci est dépeint dans plusieurs enluminures d'un manuscrit du début du XIVe siècle

conservé à la BNF comme un être de très grande taille, un véritable titan aux cheveux

longs (mais imberbe) que finit par soumettre Jaufré.

Un nain géant sans barbe donc...là ils ont pas fini de nous perdre les gars…

Dans beaucoup de romans arthuriens, les nains, qui peuvent être parfois nombreux (vingt-quatre

dans le Lancelot en prose), ne sont pas toujours des adversaires et sont parfois considérés

comme des chevaliers à part entière, comme Guivret dans Erec et Enide, un seigneur régnant

sur l'Irlande.

Mais...ça reste une exception ! La majorité de ces nains sont des personnages de second

plan.

Sur les cent soixante d'entre eux cités dans les textes arthuriens en langue d'oïl,

seuls vingt-sept possèdent un nom.

Ils n'ont pour la plupart pas de familles et sont généralement cantonnés à des rôles

secondaires, notamment de serviteurs des héros, comme le nain du paladin Gareth, le frère

de Gauvain, dans Le Morte Darthur rédigé au XVe siècle par Thomas Malory.

Et le fait que ce soit des personnages secondaires dans ces textes, pour certains historiens,

ce n'est vraiment pas du tout anodin ! Et oui, les nains dans les sociétés païennes

germaniques et nordiques, est une figure importante et traditionnelle.

Le fait qu'ils se retrouvent dans le rôle de personnage secondaire dans des textes chrétiens,

serait la preuve d'une christianisation de la figure du nain.

En le mettant au service des chevaliers chrétiens, on diminue l'importance de cette figure

païenne par excellence donc on montre la supériorité du christianisme ! Pas bête

hein ?

Cependant ce n'est pas la seule explication valable.

On pourrait aussi voir dans les nains une représentation des classes sociales moins

aisées, les vilains, par des auteurs issus eux des rangs de l'aristocratie.

Le nain Tronc, décrit dans le roman arthurien du XIVe siècle Ysaÿe le triste, sert le

héros du texte.

Il est habillé en haillon et se tient mal à table.

Dans le même genre, sur une enluminure réalisée sensiblement à la même époque, un nain

affronte Gauvain avec une masse, une arme de roturier.

Il ne porte pas non plus d'armure, réservée au noble combattant, et son cheval, à la

différence de celui de son adversaire, n'a pas de caparaçon frappé des armoiries de

son cavalier.

Et pour le coup, c'est une figure assez récurrente que l'on retrouve ailleurs.

Par exemple dans ce manuscrit du XVe siècle ou c'est cette fois sir Hector qui se bat

contre un nain.

Nous n'avons que deux exceptions, deux nains qui n'en sont peut-être qu'un seul, qui

sont des personnages importants de la littérature médiévale : Alberich et Auberon.

Nous avons déjà évoqué le premier qui s'oppose à Siegfried dans La Chanson des

Nibelungen.

Dans un texte plus tardif, Ortnit, composé au XIIIe siècle, il est découvert par le

héros dans un bois enchanté, sous un tilleul.

Bien qu'âgé de cinq cents ans et doté d'une impressionnante force physique, il

apparaît sous les traits d'un enfant de quatre ans d'une grande beauté.

Il finit par révéler qu'il est son père parce qu'il a, dit le texte, pris de force

sa mère, comme le montre de manière très soft cette gravure d'un livre imprimé à

Strasbourg vers 1480 . Alberich va sans doute inspirer le personnage

d'Auberon qui apparaît dans le cycle de Huon de Bordeaux, suite de romans du XIIIe

siècle qui mettent en scène les aventures d'un paladin de Charlemagne.

Dans le premier d'entre eux, Huon, le héros, part en Orient où il rencontre au détour

d'une forêt le roi nain Aubéron.

Celui-ci, explique le texte, était :

« un petit homme qui n'avait que trois pieds de haut.

Mais il était beau comme le soleil en été.

Ses cheveux tombaient en boucles d'or sur ses épaules ; il était vêtu d'une riche

étoffe de soie partagée en bandes que séparaient des galons d'or.

Des lacs de soie lui serraient les côtés ; il portait à la main un arc d'argent dont

la corde était de soie et la flèche d'or.

À son cou pendait un cor d'ivoire entouré de cercles d'or. »

L'auteur de ce texte est anonyme mais on sent clairement qu'il s'inspire des récits

germaniques, mais aussi d'autres sources, notamment gréco-latines.

Le royaume d'Aubéron se situe, selon le texte, sur la route du Caire, associé à

un l'Orient des romans médiévaux, une terre merveilleuse par excellence où, pensait-on

depuis des auteurs latins comme Mégasthène ou Pline l'Ancien, vivaient les Pygmées.

Le lignage d'Aubéron révèle également ses liens avec la Rome antique, mais aussi

la matière de Bretagne dont nous avons parlé tout à l'heure.

Ça fait un beau mix non ? Et prenez bien votre respiration parce que d'après cette

histoire, notre nain est le fruit de l'union entre Jules César et de la fée Morgue (sans

doute une version transposée de la fée Morgane du mythe arthurien.

Ouais..

Et quitte à faire des mix chelou, on apprend aussi que le célèbre saint Georges est en

réalité son frère jumeau dans un texte complet qu'un auteur anonyme écrivant en

dialecte picard lui consacre à la fin du XIIIe siècle.

Progressivement, d'autres textes vont mettre en scène Aubéron et des variantes tardives

le présente plus comme un être féérique, comme sa mère, voir même elfique, que comme

un nain.

William Shakespeare lui-même va achever cette transformation avec sa comédie Le Songe d'une

nuit d'été écrite entre 1594 et 1595 dans lequel Aubéron joue un rôle majeur.

Par la suite, le nain inventé par l'auteur de Huon de Bordeaux sera représenté la plupart

du temps comme un être, certes magique, mais de taille humaine, comme dans cette peinture

de Joseph Noel Paton exécutée vers 1850.

Si j'insiste sur tous ces exemples, c'est qu'ils montrent bien une chose : qu'il

est difficile de faire un portrait type d'un nain dans les textes médiévaux, et que même

si nous y arriverions, le nain médiéval, il serait bien différent de celui que l'on

connaît aujourd'hui.

Mais ! C'est important de le souligner aussi, dès le Moyen ge on retrouve certaines caractéristiques

des nains qui sont toujours valables aujourd'hui. 4 pour être précis.

On va creuser ça ensemble...comme des nains !

Première caractéristiques, les nains sont tout d'abord liés à la terre, à l'élément

minéral, dans lequel ils habitent parfois.

Lorsque Loki capture Andravi après que ce dernier a pris une forme de poisson, il exige

« de lui, comme rançon, tout l'or qu'il possédait dans son rocher. ».

C'est tout pareil pour Alberich, dans La Chanson des Nibelung, qui vit dans les montagnes.

La véritable histoire des nains (1) Die wahre Geschichte der Zwerge (1) The true story of dwarfs (1) Het ware verhaal van dwergen (1)

Cet épisode est sponsorisé par les éditions Hachette Heroes qui viennent de sortir deux

ouvrages sur Tolkien, Les batailles de Tolkien et Les Héros de Tolkien.

Pour vous replonger dans cet univers rempli d'elfes, d'orcs, de dragons et de nains,

je vous invite à cliquer sur le lien en description pour les commander ou à les retrouver en

librairie.

On se retrouve en fin de vidéo pour en savoir plus ! Très bon épisode !

“Nous sommes les nains sous la montagne!!!”

Mes chers camarades bien le bonjour !

Fan de Naheulbeuk, lecteur de fantasy, joueuse de WoW, nous sommes tous habitués à voir

dans les nains un peuple de petits êtres habitant sous les montagnes, buvant beaucoup

de bière, travaillant le métal, amassant de l'or, des hommes barbus aussi ronchons

qu'un vieux pilier de bistrot célibataire et qui, évidemment, détestent les elfes.

Sauf qu'évidemment les nains, c'est plus compliqué que ça...

Ces représentations des nains que je viens d'énoncer sont pour beaucoup contemporaines.

Aujourd'hui, les races merveilleuses des univers de fantasy sont même distinguées

entre elles de manière quasi scientifique.

On les décrit comme des zoologues pourraient dépeindre diverses espèces d'oiseaux en

usant du système de Linné hérité du XVIIIe siècle.

Dans la dernière édition du jeu de rôle Donjons & Dragons, les nains n'ont par exemple

rien à voir avec les elfes ou les gnomes.

Ils font « entre 1,20 m. et 1,50 m. », vivent en moyenne 350 ans et sont séparés

en deux sous-espèces, celle des collines et celle des montagnes.

Au Moyen ge, la vision des nains, n'est pas du tout la même qu'aujourd'hui ! Les

auteurs de cette époque ne s'accordent pas entre eux, ils ne sont pas aussi précis

et parfois, ils se contredisent eux-mêmes.

Autant vous dire qu'on n'est pas sorti de l'auberge !

Mais ce qui peut nous apparaître comme de la confusion à en réalité une logique très

simple.

Ils considèrent les nains comme des êtres liés à l'outre-monde, à la magie, à

la féérie.

Ils peuvent donc être confondus avec d'autres créatures merveilleuses : des elfes, des

fées, mais aussi des géants.

C'est d'autant plus vrai que les auteurs emploient parfois, pour nommer une même créature,

plusieurs termes.

À titre d'exemple, l'alchimiste Paracelse invente au XVIe siècle le mot « gnome »

pour décrire de petits êtres qui ont toutes les caractéristiques des nains des légendes.

Et autant te dire que si dans World of Warcraft tu traites un nain de gnome, y'a des chances

que tu te prennes un coup de masse à deux mains.

Ce type de mélange entre les termes est très répandu au Moyen ge.

Par exemple quand il parle des nains, Snorri Sturluson, auteur islandais au XIIIe siècle,

les appelle les « d'elfes noir ». On peut lire dans son ouvrage l'Edda en

Prose que « Alfadr demanda à Skirnir, le messager de Feryr, de descendre au pays

des elfes noirs (“Svartalfaheim”) et de faire fabriquer par des nains un lien appelé

Gleipnir ». Dans un autre texte intitulé L'art poétique, Snorri explique que Loki,

se rendant au même pays des elfes noirs, arriva chez un nain appelé Andravi.

On remarque donc chez l'auteur islandais une nette confusion entre les elfes noirs

et les nains.

C'est encore plus le cas lorsqu'il donne les noms de soixante-huit nains.

Outre le fait qu'on en connaisse un bon nombre parce qu'ils ont été utilisés

par Tolkien pour désigner ses propres nains comme Fili, Kili, Ori, Nori, Dvalin qui donnera

Dwalin, Dain, etc, certains renvoient explicitement aux elfes : Vindalf (« elfe du vent »)

et Gandalf (« elfe à la baguette magique ») ou tout simplement « Alf » (« elfe »).

Oui, Gandalf serait en fait un nain, vous avez bien entendu.

Nota Bene, l'émission qui défonce tes repères et tes œuvres préférées.

Cette nature elfique des nains est aussi présente dans des textes germaniques.

Dans La Chanson des Nibelungen, composée au XIIIe siècle, le héros Siegfried soumet

le nain Alberich, roi des Nibelungen, et lui promet la liberté en échange de mille de

ses guerriers, qu'il lui accorde.

Or, Alberich signifie probablement « roi des elfes », en mélangeant les termes

« alb » (soit « alf » / « elfe ») et « rich » qui renvoie lui au latin

rex (« roi »). En plus d'être associés aux elfes, les

nains sont aussi proches des géants, au point de se confondre avec eux.

Sokkmimir, géant cité dans l'Edda poétique, est le fils du nain Midvitnir.

Ça parait logique non ? Non ?

Les nains, comme nombre de créatures féériques, sont souvent décrits comme des change-formes.

Andravi par exemple, que tente de capturer Loki « avait pris dans l'eau la forme

d'un poisson ».

On est loin de Gimli et de sa hache !

On confère aux nains une apparence encore plus étrange dans les textes en langue romane.

En effet, à partir du XIIe siècle, les nains font leur apparition dans la matière de Bretagne

,c'est-à-dire dans l'ensemble des textes du Moyen ge liés aux légendes bretonnes

et notamment au mythe arthurien.

Ils apparaissent également dans la matière de France, les légendes françaises donc,

associée, elle, aux exploits des paladins de Charlemagne.

C'est Chrétien de Troyes, qui, le premier, introduit les nains dans la légende de Camelot,

notamment dans Erec et Enide, roman écrit dans les années 1160 où le nain Bilis a

pour frère Bliant, un quasi géant, car, explique le texte, il « était plus grand

d'un demi-pied ou d'une paume entière que le plus grand chevalier du royaume ».

Dans le Roman de Jaufré, seul texte arthurien écrit en langue d'oc composé vers 1200,

le héros affronte un nain.

Or, celui-ci est dépeint dans plusieurs enluminures d'un manuscrit du début du XIVe siècle

conservé à la BNF comme un être de très grande taille, un véritable titan aux cheveux

longs (mais imberbe) que finit par soumettre Jaufré.

Un nain géant sans barbe donc...là ils ont pas fini de nous perdre les gars…

Dans beaucoup de romans arthuriens, les nains, qui peuvent être parfois nombreux (vingt-quatre

dans le Lancelot en prose), ne sont pas toujours des adversaires et sont parfois considérés

comme des chevaliers à part entière, comme Guivret dans Erec et Enide, un seigneur régnant

sur l'Irlande.

Mais...ça reste une exception ! La majorité de ces nains sont des personnages de second

plan.

Sur les cent soixante d'entre eux cités dans les textes arthuriens en langue d'oïl,

seuls vingt-sept possèdent un nom.

Ils n'ont pour la plupart pas de familles et sont généralement cantonnés à des rôles

secondaires, notamment de serviteurs des héros, comme le nain du paladin Gareth, le frère

de Gauvain, dans Le Morte Darthur rédigé au XVe siècle par Thomas Malory.

Et le fait que ce soit des personnages secondaires dans ces textes, pour certains historiens,

ce n'est vraiment pas du tout anodin ! Et oui, les nains dans les sociétés païennes

germaniques et nordiques, est une figure importante et traditionnelle.

Le fait qu'ils se retrouvent dans le rôle de personnage secondaire dans des textes chrétiens,

serait la preuve d'une christianisation de la figure du nain.

En le mettant au service des chevaliers chrétiens, on diminue l'importance de cette figure

païenne par excellence donc on montre la supériorité du christianisme ! Pas bête

hein ?

Cependant ce n'est pas la seule explication valable.

On pourrait aussi voir dans les nains une représentation des classes sociales moins

aisées, les vilains, par des auteurs issus eux des rangs de l'aristocratie.

Le nain Tronc, décrit dans le roman arthurien du XIVe siècle Ysaÿe le triste, sert le

héros du texte.

Il est habillé en haillon et se tient mal à table. He's dressed in rags and has a bad table manners.

Dans le même genre, sur une enluminure réalisée sensiblement à la même époque, un nain

affronte Gauvain avec une masse, une arme de roturier.

Il ne porte pas non plus d'armure, réservée au noble combattant, et son cheval, à la

différence de celui de son adversaire, n'a pas de caparaçon frappé des armoiries de

son cavalier.

Et pour le coup, c'est une figure assez récurrente que l'on retrouve ailleurs.

Par exemple dans ce manuscrit du XVe siècle ou c'est cette fois sir Hector qui se bat

contre un nain.

Nous n'avons que deux exceptions, deux nains qui n'en sont peut-être qu'un seul, qui

sont des personnages importants de la littérature médiévale : Alberich et Auberon.

Nous avons déjà évoqué le premier qui s'oppose à Siegfried dans La Chanson des

Nibelungen.

Dans un texte plus tardif, Ortnit, composé au XIIIe siècle, il est découvert par le

héros dans un bois enchanté, sous un tilleul.

Bien qu'âgé de cinq cents ans et doté d'une impressionnante force physique, il

apparaît sous les traits d'un enfant de quatre ans d'une grande beauté.

Il finit par révéler qu'il est son père parce qu'il a, dit le texte, pris de force

sa mère, comme le montre de manière très soft cette gravure d'un livre imprimé à

Strasbourg vers 1480 . Alberich va sans doute inspirer le personnage

d'Auberon qui apparaît dans le cycle de Huon de Bordeaux, suite de romans du XIIIe

siècle qui mettent en scène les aventures d'un paladin de Charlemagne.

Dans le premier d'entre eux, Huon, le héros, part en Orient où il rencontre au détour

d'une forêt le roi nain Aubéron.

Celui-ci, explique le texte, était :

« un petit homme qui n'avait que trois pieds de haut.

Mais il était beau comme le soleil en été.

Ses cheveux tombaient en boucles d'or sur ses épaules ; il était vêtu d'une riche

étoffe de soie partagée en bandes que séparaient des galons d'or.

Des lacs de soie lui serraient les côtés ; il portait à la main un arc d'argent dont

la corde était de soie et la flèche d'or.

À son cou pendait un cor d'ivoire entouré de cercles d'or. »

L'auteur de ce texte est anonyme mais on sent clairement qu'il s'inspire des récits

germaniques, mais aussi d'autres sources, notamment gréco-latines.

Le royaume d'Aubéron se situe, selon le texte, sur la route du Caire, associé à

un l'Orient des romans médiévaux, une terre merveilleuse par excellence où, pensait-on

depuis des auteurs latins comme Mégasthène ou Pline l'Ancien, vivaient les Pygmées.

Le lignage d'Aubéron révèle également ses liens avec la Rome antique, mais aussi

la matière de Bretagne dont nous avons parlé tout à l'heure.

Ça fait un beau mix non ? Et prenez bien votre respiration parce que d'après cette

histoire, notre nain est le fruit de l'union entre Jules César et de la fée Morgue (sans

doute une version transposée de la fée Morgane du mythe arthurien.

Ouais..

Et quitte à faire des mix chelou, on apprend aussi que le célèbre saint Georges est en

réalité son frère jumeau dans un texte complet qu'un auteur anonyme écrivant en

dialecte picard lui consacre à la fin du XIIIe siècle.

Progressivement, d'autres textes vont mettre en scène Aubéron et des variantes tardives

le présente plus comme un être féérique, comme sa mère, voir même elfique, que comme

un nain.

William Shakespeare lui-même va achever cette transformation avec sa comédie Le Songe d'une

nuit d'été écrite entre 1594 et 1595 dans lequel Aubéron joue un rôle majeur.

Par la suite, le nain inventé par l'auteur de Huon de Bordeaux sera représenté la plupart

du temps comme un être, certes magique, mais de taille humaine, comme dans cette peinture

de Joseph Noel Paton exécutée vers 1850.

Si j'insiste sur tous ces exemples, c'est qu'ils montrent bien une chose : qu'il

est difficile de faire un portrait type d'un nain dans les textes médiévaux, et que même

si nous y arriverions, le nain médiéval, il serait bien différent de celui que l'on

connaît aujourd'hui.

Mais ! C'est important de le souligner aussi, dès le Moyen ge on retrouve certaines caractéristiques

des nains qui sont toujours valables aujourd'hui. 4 pour être précis.

On va creuser ça ensemble...comme des nains !

Première caractéristiques, les nains sont tout d'abord liés à la terre, à l'élément

minéral, dans lequel ils habitent parfois.

Lorsque Loki capture Andravi après que ce dernier a pris une forme de poisson, il exige

« de lui, comme rançon, tout l'or qu'il possédait dans son rocher. ».

C'est tout pareil pour Alberich, dans La Chanson des Nibelung, qui vit dans les montagnes.