(#3) Que veut la Russie de Poutine ? (Mappemonde Ep. 3) - YouTube
C'est l'histoire d'un conflit qui, pendant longtemps, a divisé le monde en deux...
…et d'un pays qui, après avoir mis un terme à cette guerre,
n'a peut-être pas dit son dernier mot.
30 ans après la fin de la guerre froide,
la Russie est de nouveau en guerre, mais cette fois-ci en Ukraine.
Entre 2014 et 2019,
au moins 13 000 personnes sont mortes dans l'est du pays,
et la Crimée n'est plus Ukrainienne,
mais Russe.
Depuis la fin de la guerre froide,
le fossé entre la Russie et l'Occident n'avait jamais été aussi grand.
La question est : comment en est-on arrivé là ?
Et la réponse est compliquée, mais commençons par ça :
l'Ukraine.
L'Ukraine, c'est très important pour les Russes.
C'est le berceau de la civilisation de la Rus' de Kiev,
autrement dit, un peu l'équivalent des Gaulois pour les Français.
Puis, pour beaucoup de Russes,
la Russie et l'Ukraine, c'est quasiment la même chose.
Il faut dire que depuis 200 ans,
les territoires russes et ukrainiens n'ont presque jamais été séparés,
sauf aujourd'hui.
Mais il y a un endroit en Ukraine auquel les Russes sont particulièrement attachés :
la Crimée.
La Crimée, c'est cette presqu'île au nord de la mer Noire.
Pendant la Seconde Guerre mondiale,
la péninsule et son port, Sébastopol, ont notamment eu un rôle stratégique
dans l'affrontement avec l'Allemagne.
Jusque dans les années 50,
elle appartenait encore entièrement à la Russie.
C'est alors qu'intervient Nikita Khrouchtchev.
En 1954, le dirigeant soviétique décide d'offrir la Crimée à l'Ukraine.
À l'époque, elle est présentée comme un cadeau
pour célébrer les 300 ans du Traité de Pereïaslav
qui unit pour la première fois l'Ukraine à la Russie.
Mais dans les faits, ça ne change rien,
puisque l'Ukraine n'est alors qu'une des républiques
de l'Union des républiques socialistes et soviétiques
et que ses frontières sont purement administratives.
La Crimée reste donc soviétique
et le port de Sébastopol continue même d'être administré directement par Moscou.
Sauf qu'en 1991, l'URSS s'effondre.
La Crimée appartient alors à l'Ukraine.
Le problème, c'est que pour beaucoup de Criméens, leur pays, c'est la Russie.
Huit habitants sur dix déclarent que le russe est leur langue maternelle.
Selon un sondage en mai 2013,
seulement 15 % des habitants se considéraient Ukrainiens,
contre 40 % Russes.
Lors d'un référendum sur le rattachement à la Russie lors de la crise ukrainienne,
le oui l'a emporté à 97 %.
Les conditions d'organisation de ce référendum posent problème à plein d'égards,
mais même avec un score moins élevé,
le oui l'aurait probablement emporté dans tous les cas.
Mais il y a deux autres raisons pour lesquelles l'Ukraine est si importante pour la Russie.
D'abord, l'accès à la mer chaude.
Car en Russie, il fait souvent froid.
Et quand il fait froid, la mer gèle.
À Saint-Pétersbourg, Vladivostok ou Kaliningrad, par exemple,
les ports gèlent en hiver.
Il y a bien des brise-glaces,
mais pas suffisamment pour pouvoir déplacer beaucoup de navires rapidement,
ce qui, en cas de guerre par exemple, n'est pas idéal.
La Russie n'a donc accès aux mers chaudes que par un endroit :
là, par la mer Noire, qui communique avec la mer Méditerranée,
qui elle-même communique avec les océans.
Or, le port historique de la Russie en mer Noire, c'est Sébastopol.
Puis, il y a tout le reste du territoire ukrainien.
Il est stratégique car il se trouve à un endroit vulnérable pour la Russie.
Historiquement, c'est de l'ouest que sont venues la plupart des agressions.
Pour garantir la sécurité de ses frontières occidentales,
Moscou s'est employée à construire une zone tampon d'influence et de protection.
Mais depuis quelques années, ce n'est plus tout à fait ce que c'était.
Alors qu'en 1989 la zone d'influence de Moscou allait jusqu'en Allemagne de l'Est,
en 2019 elle n'était plus réduite qu'à ça.
Ce qui nous amène à la deuxième raison de l'attitude russe :
la désillusion.
Revenons un peu en arrière.
Pendant la seconde moitié du XXe siècle,
la Russie, qui est alors l'URSS, c'est ça.
En dehors des États-Unis,
il n'y a tout simplement pas de pays plus puissant au monde.
Et puis…
Le 25 décembre 1991, l'URSS prend officiellement fin,
mais c'est aussi la fin de 45 années pendant lesquelles le monde a été séparé en deux,
et l'occasion ou jamais de reconstruire un monde plus uni.
Dès la fin des années 80,
le réformateur russe Mikhaïl Gorbatchev appelle à bâtir une maison commune européenne.
Quelques années plus tard, le secrétaire d'État américain, James Baker,
parle de fonder un système de sécurité incluant les États-Unis,
l'Europe et la Russie,
une alliance qui unirait le monde de Vancouver à Vladivostok.
Mais pour la Russie, tout cela ne peut se faire qu'à une condition :
qu'elle puisse conserver son influence en Europe de l'Est.
Au début des années 90,
elle crée la Communauté des États indépendants
dans le but de conserver des liens avec les anciennes républiques soviétiques.
Et les États-Unis font alors une promesse à la Russie.
En échange de la réunification des deux Allemagnes,
l'OTAN ne poursuivra pas son expansion dans l'ancien bloc de l'Est ;
oui, car l'OTAN, c'est une alliance militaire fondée en 1949
par les États-Unis et plusieurs pays d'Europe pour faire face à l'URSS.
Les termes exacts de cette promesse sont aujourd'hui contestés.
On ne sait pas très bien ce qui a été dit et comment,
mais ce qui est sûr, c'est que pour les Russes, elle a bel et bien existé
et, au début, elle est respectée.
Pendant plusieurs années, l'OTAN reste à l'écart de l'ex-bloc soviétique
jusqu'en 1999.
Cette année-là, l'OTAN invite la Pologne,
la République tchèque
et la Hongrie à la rejoindre.
Mais à part avec l'exclave russe de Kaliningrad,
ces pays n'ont pas vraiment de frontière commune avec la Russie.
Pour ménager Moscou,
l'OTAN s'engage même à ne pas stationner de forces de combat permanentes dans ces pays.
Elle déclare qu'elle n'a aucune intention,
aucun projet
et aucune raison de déployer des armes nucléaires
sur le territoire de nouveaux membres.
Les relations entre Russes et Américains demeurent alors plutôt bonnes.
Le 11 septembre 2001,
Vladimir Poutine est le premier chef d'État à présenter son soutien par téléphone
à George Bush.
Puis en 2004…
Sept anciens pays du bloc de l'Est,
dont surtout la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie,
intègrent l'OTAN.
Pour la Russie, c'est une trahison
et la preuve des véritables intentions américaines :
l'encercler et la marginaliser sur le plan international.
Le résultat, c'est que la Russie renoue alors avec une vieille obsession :
son opposition avec l'Occident.
Dans les années 2000, des mouvements politiques pro-occidentaux
surgissent dans les anciennes républiques soviétiques.
Et la Russie intervient.
Puis en 2013…
Alors que la Russie et l'Europe se disputent l'intégration de l'Ukraine
à leur union économique respective,
un mouvement de protestation pro-européen explose à Kiev :
la révolte de Maïdan.
En quelques semaines,
la révolte provoque la démission du président pro-russe,
Viktor Ianoukovitch,
et l'Ukraine se rapproche dangereusement de l'Occident.
Pour Moscou, c'en est trop,
et la suite, désormais, on la connaît.
Depuis, d'un côté comme de l'autre,
les intentions pacifiques de la fin de la guerre froide
sont de plus en plus lointaines.
Ces dernières années,
l'OTAN construit en Europe un système de bouclier antimissile,
des missiles capables d'intercepter d'autres missiles.
Le premier site a été inauguré en 2016 en Roumanie
et un autre doit voir le jour en Pologne en 2020.
Selon les États-Unis, ces missiles ne visent pourtant pas la Russie,
mais l'Iran,
ce qui ne convainc pas tout à fait Vladimir Poutine.
Faisons le point.
En 30 ans, les relations entre la Russie et l'Occident ont basculé
pour atteindre en 2014 un point critique.
Mais pendant qu'à l'ouest les choses se tendent,
le regard de la Russie s'est progressivement tourné vers l'est,
et vers un pays en particulier, la Chine.
En 2008,
la Chine est devenue le premier partenaire commercial de la Russie.
Depuis, son poids ne cesse d'augmenter.
Pendant ce temps, celui de l'Europe est en baisse.
L'Union européenne est toujours la région vers laquelle la Russie exporte le plus,
mais pour la première fois, elle n'est plus son principal fournisseur.
En 2016, 40 % des importations russes venaient des pays membres de l'APEC,
la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique,
contre 38 % de l'Union européenne.
Il faut dire que depuis le conflit en Ukraine,
d'importantes sanctions commerciales ont été imposées à la Russie,
notamment par les États-Unis,
le Japon,
et surtout tous les pays de l'Union européenne.
Pour la Russie,
trouver de nouveaux partenaires est donc nécessaire,
et ce qui illustre peut-être le mieux ce changement stratégique,
c'est le gaz.
Car le gaz russe, ça intéresse beaucoup de gens.
Avec plus d'un quart des réserves mondiales sur son territoire,
la Russie est l'un des principaux exportateurs mondiaux
et le premier fournisseur de l'Union européenne.
C'est tellement important pour son économie
que la Russie ne peut pas se passer d'en vendre à l'Union européenne
et que l'Union européenne ne peut pas se passer d'en acheter à la Russie.
Sauf que depuis quelques années,
la Russie s'est mise à chercher de nouveaux clients.
En 2014, Force de Sibérie,
un contrat de 400 milliards de dollars est signé entre la Chine et la Russie.
Il prévoit l'acheminement de 38 milliards de mètres cubes de gaz russe
vers la Chine en 30 ans
et la construction d'un gazoduc de 3000 kilomètres entre les deux pays.
Mais les relations entre les deux nations sont plus que commerciales.
Depuis 30 ans, elles se sont de nouveau rapprochées diplomatiquement.
Il faut dire que Russes et Chinois ont un point en commun :
ils n'aiment pas trop la domination des Américains.
Dès 2001, Pékin et Moscou fondent la coopération de Shanghai,
une alliance régionale militaire
qui regroupe désormais près de la moitié de la population mondiale.
Son objectif est clair :
œuvrer à la création d'un nouvel ordre mondial plus juste,
libéré de toute hégémonie.
Mais la coopération de Shanghai n'est pas la seule perspective de la Russie à l'Est.
Il en est une qui lui tient particulièrement à cœur :
l'Eurasie.
L'Eurasie, c'est à la fois l'Europe et l'Asie, conçues comme un même ensemble.
Et pour la Russie, dont le territoire s'étend sur les deux continents,
c'est bien naturel.
En 2015, elle crée l'Union économique eurasiatique.
Pour l'instant, c'est une union économique et douanière,
mais elle aspire à plus.
Depuis quelques années,
les ambitions eurasiatiques de la Russie résonnent avec un autre projet chinois.
Les « nouvelles routes de la soie »,
c'est un projet qui consiste à relier la Chine à l'Europe occidentale
par des routes commerciales
et à financer des infrastructures sur les points stratégiques de ces routes.
Or, entre la Chine et l'Europe, il y a l'Union économique eurasiatique.
Dès 2015, un accord a été signé pour coordonner les deux projets.
Pour la Chine,
c'est la garantie que la sécurité de cette route sera assurée par la Russie.
Pour la Russie et les pays d'Asie centrale,
ce sont des infrastructures financées par la Chine sur leur territoire.
Mais surtout, les « nouvelles routes de la soie » pourraient faire de l'Eurasie
le centre de toutes les attentions géopolitiques.
En 1997, dans « Le grand échiquier »,
Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller du président Carter,
plaçait déjà l'Eurasie au centre du monde.
Selon lui, si une puissance rivale parvenait à s'imposer sur le continent eurasien,
elle serait en mesure de renverser l'hégémonie américaine.
Sans surprise,
Russes et Chinois ont été particulièrement attentifs à cette prophétie.
Le problème pour la Russie, c'est que pour l'heure,
elle n'est pas tout à fait la mieux placée des deux pour l'incarner,
mais ça, c'est une autre histoire.
Merci beaucoup d'avoir regardé cette vidéo.
Elle doit beaucoup à Tatiana Kastouéva-Jean,
qui est chercheuse à l'IFRI
et qui m'a très gentiment accordé du temps au moment où je l'écrivais.
Donc, encore merci à elle.
Sinon, il y aura bientôt un nouvel épisode de « Mappemonde ».
D'ici là, on attend vos retours sur cette vidéo, sur cet épisode,
et vos suggestions sur les suivants.